Arturo Obegero

"Je puise mon inspiration partout. Du cinéma à la sculpture, du surréalisme au dadaïsme en passant par les différentes ères de la mode."

Arturo Obegero

QUELLES SONT TES ACTUALITÉS EN CE MOMENT ?

Draper, couper, coudre, faire des castings, ajuster, éditer… Beaucoup de choses à faire, et pas tellement de vie sociale ces derniers temps haha

AU DÉBUT, JE NE SAVAIS PAS TRÈS BIEN COMMENT RÉAGIR À TA COLLECTION. JE NE SAVAIS PAS SI JE DEVAIS LA TROUVER INCROYABLEMENT VIOLENTE OU L’INTERPRÉTER COMME UNE ODE À L’AMOUR. QU’EST-CE QUI T’A CONDUIT À RÉALISER UNE TELLE COLLECTION ? COMMENT T’Y ES-TU PRIS POUR CRÉER UN ÉQUILIBRE ENTRE LA VIE, LA MORT, L’AMOUR ET L’ÉROTISME ?

J’aime l’idée que tu ais pu percevoir les deux facettes de ce travail. Pour moi, tout est question de trouver le parfait équilibre entre les éléments que tu as mentionnés, dans le but de créer un type de beauté à la fois dur et romantique. Quelque chose de brutal et vulnérable à la fois, mais toujours dans la séduction.

POURQUOI AS-TU CHOISI DE TRAVAILLER SUR LE FLAMENCO – ET LA DANSE EN GÉNÉRAL ?  EST-CE QUE ÇA A UN SENS PARTICULIER POUR TOI ?

Je suis espagnol et, qu’on le veuille ou non, on grandit avec nos origines dans le sang. Mais je suis tombé tout petit amoureux du Flamenco, parce que ma mère en faisait tous les samedis matin à la maison.

Je crois que c’est une des traditions espagnoles les plus belles et spirituelles. Ça peut être extrêmement romantique, une pure expression d’amour et de bonheur, aussi bien que la plus sombre et misérable allégorie de la mort. Le Flamenco dit tout ça très puissamment, avec élégance et passion. Comment ne pas se sentir captivé ? Pour moi, le Flamenco est une forme d’art complète.

Y A-T-IL D’AUTRES RÉFÉRENCES CULTURELLES DANS TON TRAVAIL ?

Je puise mon inspiration partout. Du cinéma à la sculpture, du Surréalisme au Dadaïsme en passant par les différentes ères de la mode. J’aime aussi étudier la gestuelle des gens. Et bien sûr, je la trouve dans le monde de la danse, des ballets russes au butō japonais, en passant par les danses folkloriques.

QUEL EST LE MESSAGE DE TA DERNIÈRE COLLECTION ?

Que tu n’as pas besoin de crier pour être entendu. Mais je suis aussi très curieux de savoir quelles émotions les gens ressentent devant mon travail, plutôt que ce que moi j’ai voulu transmettre. C’est bien plus important, non ?

COMMENT TA PERSONNALITÉ ET TON BAGAGE CULTUREL ONT-ILS INFLUENCÉ TON TRAVAIL ? JE SAIS QUE TA FAMILLE A UNE PLACE IMMENSE DANS TA VIE, COMMENT CELA SE TRADUIT-IL DANS TES COLLECTIONS ?

En Espagne, la culture et la tradition sont profondément ancrées dans la vie de tous les jours. J’ai baigné là-dedans toute mon enfance et ça se traduit, consciemment et inconsciemment, dans ce que je crée, que ce soit au détour d’un détail apparemment insignifiant ou dans un élément plus conceptuel. Je puise aussi mon inspiration dans les garde-robes de mes grands-parents et notre dernier repas de Noël ensemble avait vraiment des airs de La Maison de Bernarda Alba. Nous étions tous en noir ! C’est sans doute la raison pour laquelle j’aime autant le noir !

QUEL MÉTIER VOULAIS-TU FAIRE, ENFANT ?

Ah, je pourrais vraiment écrire une trilogie pour répondre à cette question ! Ma toute première passion a été la mer. J’étais littéralement obsédé par le Commandant Cousteau et, avec mon meilleur ami, je voulais ouvrir une sorte « d’oasis » pour les dauphins. Ensuite j’ai voulu être présentateur de JT à la télé, puis acteur, chanteur, danseur, et, crois-le ou non, j’ai même pensé devenir médecin. Puis la mode est entrée dans ma vie, un autre genre de spectacle, il me semble, et peut-être qu’un jour je monterai finalement bel et bien sur scène.

A-T-IL ÉTÉ FACILE POUR TOI D’EN ARRIVER LÀ OÙ TU EN ES AUJOURD’HUI ?

Pas du tout. Je viens d’une famille modeste et d’une très petite ville de moins de mille habitants, au Nord de l’Espagne. Alors j’ai dû travailler dur et me battre pour en arriver là, et ce n’est que le début. J’ai la volonté d’aller très loin. La seule limite, c’est le ciel, pas vrai ?

QUEL EST TON RÊVE LE PLUS FOU ?

J’ai des rêves, mais le plus important pour moi est d’être en bonne santé et heureux, entouré de mes amis, de ma famille et de ma moitié. Si je peux faire ce que j’aime et en vivre tout en créant des choses belles et qui ont du sens, alors là ce sera le rêve. J’aimerais aussi beaucoup élargir mon horizon. Peut-être mettre en scène une pièce de théâtre, réaliser un film, collaborer avec différents artistes, faire des costumes pour l’Opéra de Paris… J’aimerais marcher sur les traces de Cristóbal Balenciaga.

LA PLUPART DES ARTISTES ONT UNE MUSE. EST-CE TON CAS ?

Je n’ai pas de muse en tant que telle. Et puis beaucoup des gens que j’admire sont déjà morts. Mais, oui, je pense à certaines personnes quand je crée, par exemple des chanteurs comme Tamino ou Caroline Polachek.

TU ES JEUNE PAR RAPPORT À LA PLUPART DES GENS QUI TRAVAILLENT DANS LA MODE. COMMENT TE SENS-TU VIS-À-VIS DE ÇA ? QUE PENSES-TU DES AUTRES PERSONNES DE TON ÂGE QUI TRAVAILLENT DANS L’INDUSTRIE DE LA MODE ? PENSES-TU QU’ELLES VONT INITIER UN CHANGEMENT ?

Beaucoup d’entre nous essayons de défier le système à notre manière. Nous, les jeunes créatifs, on veut une industrie plus juste et plus éthique. C’est notre responsabilité, en tant que petits nouveaux, d’essayer d’initier un changement dans cette direction.

PENSES-TU QUE LA MODE SOIT RÉELLEMENT EN TRAIN DE TRANSITIONNER VERS UNE INDUSTRIE PLUS DURABLE OU EST-CE JUSTE DU MARKETING ?

Il y a beaucoup de marketing, beaucoup de marques s’en servent pour redorer leur image. Mais la réalité est parfois différente. Il y a du greenwashing et j’aimerais que les journalistes enquêtent davantage sur ce sujet.

Chez AO, on essaye d’être aussi responsables que possible. On utilise des chutes de tissus de la meilleure qualité, issues de maisons de couture reconnues, et on ne produit que dix pièces de chaque modèle. On ne croit pas à la vertu des stocks et on est farouchement opposés à la surproduction. Mais on ne fait pas spécialement de communication sur tous les efforts qu’on a mis en œuvre depuis le début. Pourquoi le ferions-nous ? Ça devrait être la norme.

DERNIÈRE QUESTION : QUE VOUDRAIS-TU DIRE AUX JEUNES QUI LISENT CETTE INTERVIEW ?

Si vous êtes passionné et que vous avez une vision claire du genre de personne que vous voulez être, foncez. Ne laissez personne vous dire que vous n’y arriverez pas à cause de vos origines sociales ou de la couleur de votre peau. Travaillez dur.

Ne lâchez pas l’affaire. Amusez-vous. Ne vous comparez pas aux autres. Faites-vous confiance et écoutez ce que vous ressentez dans vos tripes. Ne renoncez jamais, même dans les moments les plus difficiles. Honnêtement, ce sont des choses que je me répète tous les jours. Pourtant je ne suis plus un enfant, hahaha !