La fin de l’inclusivité & de l'éco-responsabilité?

Être inclusif ne devrait pas être revendiqué, ça ne devrait pas être un outil marketing, ça devrait être normal. La mode c’est le reflet de la société, si tu exclues une partie de la société tu ne fais pas de la mode.

La fin de l’inclusivité & de l'éco-responsabilité?

La quête de la perfection et d’un esthétisme reflétant un idéal dans l’imaginaire commun, imaginaire qui se révèlera être unilatéral et ethno-centré ; est un principe étriqué et élitiste ayant mené l’industrie de la mode par le bout du nez pendant de bien trop longues années.

En dépit de toute notion d’avant-garde de par la création de nouvelles silhouettes, de nouvelles attitudes, l’utilisation de nouvelles matières ou l’émancipation de nouvelles visions de la féminité et de la masculinité par le vêtement, la mode n’a pas réussi à être le juste reflet social du monde dans lequel elle évolue. Elle a toujours été trop fine, trop blanche, trop cis-normée, trop polluante, trop égoïste.

Le changement ne s’étant mis en marche que récemment alors que le système sur lequel cette même mode se repose commençait à s’essouffler à vue d’œil et qu’une nouvelle génération de créateurs en phase avec les enjeux sociaux, écologiques et marketings de son époque montrait la voie aux mastodontes de l’industrie. Ces derniers n’ont eu d’autre choix que de se mettre au diapason en prenant le chemin de l’éthique de marque irréprochable, point devenu non négligeable pour les flots de nouveaux acheteurs potentiels qui affluent depuis l’avènement de l’ère digitale et de la démocratisation du luxe.

Nombre de marques n’emploient plus de fourrures ni de cuirs d’animaux exotiques. Elles se veulent "sustainable" et prônent l’upcycling en vue de se détacher de l’image de glouton peu écologique qui est celle de l’industrie. À juste titre puisqu’elle demeure la deuxième plus polluante du monde.

La diversité sur les podiums est devenue non négociable, ce qui est une avancée colossale en soit mais comme pour la question de l’éco-responsabilité le voile entre éthique et marketing est en train de doucement se déchirer, car aujourd’hui plus que jamais ils ne forment qu’un. Il apparaîtrait cependant hors de propos que de se contenter de blâmer ces évolutions. La diversité ethnique, morphologique, sexuelle, l’abolition progressive des spectres de genre sont des avancées satisfaisantes non négligeables. La pluralité identitaire s’impose désormais comme essentielle.

Alors pourquoi s’interroger sur la fin de l’inclusivité ? Il n’est pas question ici d’abolir ou d’amputer la palette d’identités précédemment évoquée mais simplement de remettre en cause son instrumentalisation commerciale.

La créatrice de mode Nix, fondatrice et directrice artistique de la griffe Lecourt Mansion, ayant récemment présenté sa première collection de prêt à porter dans le cadre de la fashion week parisienne, s’exprimait à ce sujet au micro de Magazine Antidote :

« Être inclusif ne devrait pas être revendiqué, ça ne devrait pas être un outil marketing, ça devrait être normal. La mode c’est le reflet de la société, si tu exclues une partie de la société tu ne fais pas de la mode. »

Le designer Casey Cadwallader, en charge des collections et de l’image de marque de la maison Mugler depuis Décembre 2017 se distingue désormais de par ses castings aux tailles et aux silhouettes variées. Il prône une beauté plus versatile que celle martelée dans les esprits depuis des années et s’érige sans aucune prétention en figure de proue du shapewear & du body positive dans le monde du luxe en concevant des vêtements adaptés à un large éventail de morphologies.

Il est important que des créateurs en phase avec leur époque montrent la voie. Il est tout aussi primordial que la mode reflète et célèbre la diversité dans son entièreté, elle ne doit plus être une tendance ni une représentation erronée de la réalité d’un monde pourtant pluriel.

Patia Borja - Mugler SS21 RTW - En Mode Magazine

La dernière édition du magazine 52 Minutes de Mode filmée par Loïc Prigent dévoilait une nouvelle fois les coulisses du dernier défilé de la jeune marque Atlein. L’occasion pour le créateur Antonin Tron de mettre en avant plusieurs pièces en fibres composées à partir de plastique recyclé, tout en soulignant les limites très paradoxales voire absurdes de l’upcycling et de son instrumentalisation commerciale, comme par exemple la création par certaines usines de bouteilles en plastique neuves dont la seule fonction à terme sera le recyclage. Il s’est également attardé sur l’absence de réelles revendications publiques sur son éthique de marque sustainable. Silence qui se révèle éminemment politique face à une pléthore de marques qui usent et abusent du greenwashing via leurs stratégies de communication. Il semble effectivement plus pertinent d’essayer de trouver de nouvelles solutions, de nouvelles approches plus positives et conscientes de leur impact afin de faire évoluer la profession avec justesse dans un monde en changement.

Il est intéressant de pousser ce questionnement au niveau sociologique : La remise en cause des normes par l’inclusion ainsi que la quête d’un mode de production et de distribution conscient de son impact environnemental sont-elles des notions révolues ou indispensables ?

La nuance semble de mise afin d’argumenter autour de cette interrogation. S’affranchir de ces acquis reviendrait à tuer le progrès dans l'œuf et à en minimiser l’importance et l’impact, mais s’orienter vers une normalisation de celui-ci, une normalisation empêchant toute instrumentalisation marketing pouvant s’avérer erronée ; est essentielle pour s’émanciper des limites de son actuelle utilisation.

La question de la performativité, de la performance de façade, de vitrine s’insurge au travers de plusieurs exemples de la mode contemporaine. Revenons sur celui d’un post du créateur Simon Porte Jacquemus à l’occasion de la présentation de sa collection Spring Summer 2021 « L’amour » qui prenait place au milieu d’un champ de blé en région parisienne. Un casting diverse, aux morphologies et aux ethnies variées arpente le podium. La polémique éclate lorsque le designer publie dans sa story instagram une photo aux côtés de son équipe dans les backstages du défilé. Un.e internaute de twitter publiera cette photo à côté d’un cliché du casting de mannequins, le contraste est frappant et engendrera une massive levée de boucliers : l’immense majorité (si ce n’est la quasi totalité) des membres du staff présents sont caucasiens, en opposition avec la palette exemplaire vantée sur le catwalk et dans les campagnes.

Tout comme la remise en cause de la validité de l'éco responsabilité dans les cas où elle est construite de toutes pièces, ces mises en lumière sur les remparts qui s’érigent comme une utopie falsifiée entre l’avant et l’arrière des projecteurs ; balaient la crédibilité d’une industrie qui se prône inclusive. La vente et la promesse d’une image reflétant notre monde avec justesse ne doit plus contraster avec un panel étriqué quand l’heure est venue de la construire.

Nous sommes prisonniers d’un système de surproduction et de surconsommation capitaliste atteignant ses limites dans une société qui s’essouffle et dont la mode est l’un des nombreux piliers, tant elle façonne les habitudes d’aujourd’hui et de demain dans nos esprits afin d’en tirer un profit pécuniaire optimal. Elle ne pourra ainsi jamais se revendiquer légitimement et intégralement éco-responsable tant son essence même est d’être assoiffée d’opulence et de bénéfices.

Ce même système dans lequel les artistes créent et où les industriels gouvernent, ne cesse de trébucher dans sa course au politiquement correct, à l’éthique, au responsable, à l’irréprochable, dans un seul et unique but de communication. Ne nions pas la bonne foi de certains créateurs, mais il est indispensable de déconstruire ces nouvelles promesses qui s’inscrivent dans un contexte d’urgence climatique et sociétale, dans lequel la mode et ses acteurs ne peuvent plus se contenter de caresser la partie émergée de l’iceberg mais se doivent d’agir de manière globale et concrète.